4 février 2020
>> Réflexions d’une zadiste
La ZAD n’est pas seulement le lieu d’un combat écologique et politique. Toutes celles et ceux qui y passent et y vivent l’ont perçu ou l’expérimentent pleinement, elle est aussi le terrain propice de nos combats internes.
Contre le zoning et Son monde
Nos idéaux – notre besoin d’action – notre volonté d’échapper à la matrice – notre marginalité rencontrant enfin ses semblables – nos peurs et nos espoirs atténués et ravivés par le désir de créer sans entraves. Conscients d’investir la ZAD contre le zoning et son Monde, nous partons en lutte, déterminé(e)s, prêt(e)s à déconstruire l’Immonde, mais sans doute moins avisé(e)s de la déconstruction qu’il faudra opérer sur nous-mêmes. Arrivé(e)s tels que notre passé nous a façonné(e)s, nous transportons avec nous ce que d’aucuns appellent nos “origines”, notre “condition sociale”. Et malgré les efforts que nous avons fournis afin d’ouvrir notre intellect aux choses qui nous semblent justes et bonnes, nous nous faisons les vecteurs de mécanismes ancrés si profondément que le chemin vers leur rationalisation est le combat de toute une vie. Alors, à la ZAD, on vient aussi – se construire – se détruire – se réparer – se cacher – tenter d’enrayer la folie – entretenir ses addictions sans contraintes ou au contraire les combattre – réapprendre à communiquer- refuser les concessions là où nous en avons trop faites – projeter notre idéal sur la brèche nouvelle que constitue l’opportunité d’un tel univers.
Un idéal presque parfait
Presque inéluctablement, nous voilà désireu(ses) de façonner la ZAD à notre image! Chacun(e) peut alors mesurer avec plus ou moins d’appréhension, la sagesse ou le paradoxe de cette phrase bien connue “ la liberté s’arrête là où commence celle des autres “. Si philosopher a parfois pu faire que les plus sages deviennent les plus fous, ou les plus fous, les plus sages, on pourra certainement jurer que le concept de liberté individuelle y a joué, quelque part, son rôle vertigineux. La ZAD à notre image constituerait l’endroit où notre liberté serait garante de la reconstruction d’une communauté humaine plus égalitaire, moins oppressive, soudée autour d’un objectif commun et où nous serions pris en compte d’abord pour ce que nous sommes et non pour ce que nous produisons ou ne produisons pas. Et si nous mesurons notre liberté à ce que nous pouvons faire et dire, être et penser, alors à quel moment sommes-nous certains que notre ZAD est aussi celle de l’autre? Quelle échelle de valeurs allons-nous appliquer à nos jugements ? Comment dépasser nos conditionnements afin de ne pas reproduire le monde dont nous voulons sortir et ne pouvons prétendre n’être marqués au fer rouge? Comment et pourquoi combiner avec la diversité des personnes que nous rencontrons, avec qui nous cohabitons presque chaque jour, et dont les travers heurtent parfois nos idéaux?
“ – Ce garçon a tabassé une fille, il doit partir!
– Cette fille boit trop d’alcool, je voudrais l’aider.
– Celui- là, il devrait voir un psy? Qui sait? Il parait qu’il suivait un traitement.
– Arrête de parler tout le temps, je ne m’entends plus penser!
– Pourquoi tu ne dis jamais rien?
– J’en ai marre qu’elle me drague! Elle m’a sauté dessus!
– Tu fais ça parce que je suis une fille?
– Ils ne comprennent rien!
– Je n’ai pas envie.
– Intello!
– Fils de bourges!
– Baraki!
– Machos! ”
Maintenant que nous avons passé les premières embûches ensemble, confronté et parfois chassé les personnes les plus nocives, nous voici un peu moins centrés sur la lutte, un peu plus sur l’autre, et à nouveau sur nous-mêmes. Une nouvelle temporalité s’offre à nous et nous entrevoyons la possibilité que cela dure longtemps. Enfin, nous nous demandons ce que nous foutons ensemble!
Être là, ou faire fonctionner ce qui est là
De toute évidence, la ZAD n’est pas un monde parfait. Elle est composée d’une partie de nos démons, de ceux qu’il est inévitable de trouver dans une société humaine. De toute évidence il faudra, à la ZAD comme en dehors, tisser des liens gouvernés par l’affect et la complicité, à travers lesquels nous nous sentons plus forts, et prêts à côtoyer l’extrême différence inhérente à la diversité des hommes et des femmes. Il faudra s’investir, mettre en avant les valeurs que nous souhaitons partager, et accepter parfois que seul le temps permettra de juger. La zone à défendre, celle qui est en nous, pourra alors se déployer et transformer ce qui nous affaiblissait jadis.
Que le macho côtoie la féministe, le timide l’extraverti, l’étranger l’autochtone, le végan l’omnivore et le soulard celui qui est sobre! Que toujours nous puissions confronter nos points de vue, car le monde parfait n’existe pas. Notre force pourrait être de l’accepter.
Faisons fonctionner ce qui est là! Ou encore :
“ À celleux que cette situation a mis.e mal à l’aise, qui se sont senti.e.s impuissant.e.s en rage, voire qui sont parti.e.s.
Faites tourner à celleux qui ont lutté/luttent encore/voudraient lutter encore contre Idélux et son monde. ”
Sincèrement, ZAD PARTOUT