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La Sablière : « Il n’y a pas d’alternative pour répondre à la demande des PME » Vraiment ? – Michaël Lucas

15 février 2020

Voilà encore un argument avancé par l’intercommunale IDELUX et la Commune d’Arlon. Je me pencherai, dans les prochains jours, sur la réalité des besoins en espace pour les PME, sur l’offre, publique et privée, sur l’impossibilité fondamentale d’IDELUX de répondre à l’exigence de gestion parcimonieuse des sols et sur le type de développement économique souhaitable.

L’objectif de ce post-ci est de questionner la prétendue absence d’alternative à La Sablière pour accueillir les PME en demande d’espace. « Si on ne fait pas de parc d’activité économique (PAE) à La Sablière, les PME fuiront au Grand Duché » répète Mr Magnus (bourgmestre) dans ses déclarations à la presse.

S’il existe bien sur le territoire d’Arlon un site à réaménager (SAR), c’est l’ensemble connu sous le nom d’ « Anciens Ateliers de Stockem ». Un Plan communal d’Aménagement (PCA), initié par la Ville en 2012, a été approuvé par le Ministre régional le 26 juillet 2018 ; il vise une zone s’étendant sur environ 40 ha et délimitée par la ligne de chemin de fer, la rue de la Barrière, la route de Neufchâteau (N40) et le contournement (N82)¹. Voilà donc des terres partiellement artificialisées, proches d’une gare, et affectées, d’un point de vue planologique, notamment, aux activités économiques mixtes, c’est à dire, celles qu’on veut installer à la Sablière : les PME, l’artisanat.

Alors, qu’est-ce qui bloque ? Pourquoi, dès lors que « les besoins sont pressants », ce dossier est-il à l’arrêt ?

Difficile à dire.

Les autorités, IDELUX et la ville, relèvent qu’Infrabel est intraitable sur le prix de la vente, l’essentiel des terrains appartiennent en effet à cette dernière entité. Aussi, le Fédéral ne semble pas vouloir bouger sur la mise en œuvre du P+R de Viville.

Sur ce dernier point, relevons que l’espace prévu par le PCA pour le futur parking SNCB est tout-à-fait circonscrit et que l’indécision relative sur cet élément ne devrait pas empêcher d’avancer sur les autres parties (les anciens ateliers à proprement parler et les autres surfaces).

Concernant les négociations sur le prix, je ne doute pas que les échanges soient âpres². Mais je constate que la Ville n’a pas entrepris une série d’actions et d’initiatives qui auraient permis de faire progresser le dossier, en tout cas dans sa dimension « accueil des PME ». J’ai relevé quatre manquements, inactions coupables :

1/ Il n’y a pas d’étude objectivée de la pollution des sols. On sait que les terres sont polluées (métaux issues du trafic ferroviaire, dépôt de chlorure du MET) mais on en ignore l’étendue. Comment négocier un prix si cette donnée n’est pas objectivée ? Il semblerait que la SNCB dispose de ses propres études, mais la Ville n’a pas de données propres. Elle a négligé de répondre à la demande formulée en 2015 (10/09) et répétée en 2018 (26/01) par le Commission régionale de l’Aménagement du Territoire (CRAT) sur ce point.

2/ Stockem est repris dans l’inventaire régional des Sites à Réaménager (SAR) mais aucune initiative n’a été prise par la Ville pour faire reconnaître officiellement le site comme tel par la Région wallonne (définition du périmètre par arrêté du ministre). Or, sans cette reconnaissance, pas d’aide financière possible dans le cadre de la réaffectation des friches.

3/ La Ville n’a pas introduit de dossier pour émarger aux aides décidées, le 24 mai 2018, par le Gouvernement wallon dans le cadre Programme de financement alternatif SOWAFINAL 3 du Plan wallon d’Investissement. Pour donner un ordre de grandeur, une aide financière de 439.000 euros est prévue par ce plan pour le projet de PAE à la Sablière. Toujours dans le cadre de ce même programme, à Bastogne, le réaménagement de la Caserne militaire sera soutenu à concurrence de 2.652.000 euros.

4/ La Ville semble vouloir gérer ce dossier seule. Alors que l’affaire est complexe, mêlant dimensions juridiques, urbanistiques, économiques, foncières etc… et que les ressources et les compétences au sein de l’administration communale dans le domaine de l’aménagement opérationnel sont limitées, le Collège n’a pas donné mandat à IDELUX. Or, donner mandat à l’intercommunale, doté de services compétents, semble être généralement l’habitude dans ce genre de situation.

J’ai l’intuition que la réponse à mon questionnement est à trouver dans l’affectation projetée sur le site : Stockem, c’est le fantasme d’un WEX à Arlon : un centre de congrès, des méga-concerts, des défilés branchés, …. Le chef-lieu de la province n’y aurait-il pas droit? Libramont a bien son LEC. La Fashion Week (je ne parle pas de la Rave Party) a démontré le potentiel des anciens ateliers de la SNCB. C’est comme si toute l’attention des édiles communaux autour de cette zone avait été captée par le mirage du pôle événementiel, auquel, pour faire bonne figure, on colle un P+R et un espace multimodale, sans jamais bien expliquer l’articulation entre les deux activités.

Dans son avis du 26/01/2018 (non suivi par le Ministre), le Pôle Aménagement du Territoire du CESW (l’ancienne CRAT) justifie son opinion négative sur le PCA de Stockem en relevant notamment l’absence d’analyse de l’offre disponible en espace événementiel. Et de fait, on peut s’interroger sur ce qui motive la création de pareille infrastructure à Arlon, si ce n’est une vaine compétition de clocher que l’on espérerait dépassée. La région alentour n’est-elle pas bien pourvue en équipements de ce type? A supposer que la Maison de la Culture et le Hall polyvalent seraient saturés (permettez-moi d’en douter), faudrait-il pour autant ériger ce WEX arlonnais ?

Lors des discussions en Conseil communal relatives au projet de PCA, le 25 juin 2015, Mr Magnus mettait l’assemblée en garde : «C’est impossible pour la commune de se mettre un tel projet (ndlr le WEX arlonnais) sur le dos, étant donné qu’il faudra certainement des partenariats ». Le procès verbal poursuit en ces termes : « M. le Bourgmestre pense qu’il est trop tôt pour en parler car ils ne sont qu’à̀ l’étape de l’affectation générale des différentes zones, et il affirme que ce n’est pas l’objet du débat d’aujourd’hui ».

Je comprends mieux la stratégie et la raison des quatre manquements relevés plus haut: on aurait besoin d’un ou de plusieurs partenaires, privés s’entend, et une fois trouvés, on se débrouillera seul avec eux. Pas besoin d’IDELUX : le partenaire privé nous apportera l’expertise et la compétence nécessaire, comme cela se fait souvent³. Pas besoin des finances régionales, l’investisseur privé aura les reins solides.

Est-ce pour trouver la perle rare que Mr Magnus participe au MAPIC à Cannes⁴?

Prudente, la Ville a toutefois inscrit au PCA qu’à défaut de projet événementiel, les 30.000 m2 des anciens ateliers SNCB pourraient être affectés à d’autres développements économiques.

Bref, on récapitule : Stockem, ce sera prioritairement l’événementiel, un beau gros projet comme le WEX, qui fera la fierté du chef-lieu. Rien (ou presque) n’a été entrepris pour explorer la piste de l’accueil, sur le site, de nos sympathiques artisan.e.s locaux.ales à la recherche d’espaces nouveaux. On aurait pu imaginer une belle halle de l’artisanat, un projet intégré mettant en valeur le patrimoine, avec et pour des artisans locaux. Mais non. L’artisanat (ou, à tout le moins, les activités considérées comme telles par les autorités : Briqueterie, « une entreprise de services aux voitures », un concessionnaire de voitures, …) ira sur la Sablière;
c’est bien plus facile qu’à Stockem. Et en même temps, IDELUX aura sa petite poire pour la soif. Bien vu.

La ZAD fera-t-elle voler ce scénario en éclat ? Une Sablière préservée et d’anciens ateliers SNCB se réinventant en ruche de métiers véritablement artisanaux ? « Cessons de faire toujours plus, faisons mieux » ais-je entendu récemment. Mesdames, messieurs les décideurs.euses arlonnais.es, la ZAD vous y invite⁵.

¹ A noter que ce plan ne couvre pas la parcelle ferroviaire allongée à l’ouest de la gare de Stockem (une autre réserve d’environ 20ha).

² Ô absurdité symptomatique de la gestion publique néolibérale dominant notre pays: un service public, Infrabel, pour se financer, se comporte comme un privé, il cherche à valoriser au maximum sa propriété, sans se soucier de l’intérêt général d’un gestion parcimonieuse du sol. A noter que la question de l’expropriabilité d’Infrabel en l’occurrence, mériterait d’être examinée, les biens concernés ne relevant plus du domaine public.

³ Ah! cette tendance que les pouvoirs publics ont de laisser la gestion de leurs dossiers entre les mains de consultants et de partenaires privés, s’en remettant entièrement à une compétence et une expertise toujours intéressées.

⁴ Le MAPIC se définit comme « l’événement international de référence dédié à l’immobilier de commerce et de la distribution ». « En 2019, 8 500 participants sont attendus au Palais des Festivals de Cannes enseignes, marques, pure players, centres commerciaux & lieux de transit, promoteurs, investisseurs, villes & planificateurs urbains, opérateurs de loisir, bureaux et groupes hôteliers. Ce sera aussi l’occasion du lancement du 1er événement dédié à l’intégration du loisir dans les lieux de vie et de commerce! ». Il y a aussi, toujours à Cannes, le MIPIM (Marché international des Professionnels de l’Immobilier), en mars de chaque année. IDELUX et la Ville d’Arlon y participent aussi régulièrement.

⁵ Toutes les données présentées dans ce post sont vérifiées. Je tiens mes sources à disposition.