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Bétonner, une question de survie pour Idélux – Michaël Lucas

3 mars 2020

Utiliser les sols avec parcimonie est une évidente nécessité justifiée par le besoin de protéger la biodiversité, de conserver des terres nourricières, de préserver la nappe phréatique, notamment. IDELUX en est incapable et cette incapacité tient à son existence même : sans extension de l’artificialisation des sols, IDELUX ne survit pas, simplement parce qu’IDELUX se finance par la plus-value engendrée par la vente de terrains. L’intercommunale opère comme un promoteur immobilier, sauf qu’en plus, elle dispose du pouvoir d’expropriation et perçoit des aides régionales (dont, soit dit en passant, bénéficie aussi le partenaire privé, Belfius, au travers des dividendes perçus). La mécanique opératoire est simple : acquisition, équipement et vente. Sans achat (ou expropriation) de nouvelles terres, pas de vente, pas de plus-value, pas de rentrées financières pour payer ses employés. IDELUX, contrairement à d’autres intercommunales de développement, est « self-supporting » (comme on peut lire dans le rapport du MOC de 2016¹).

Cette boulimie foncière congénitale dont souffre IDELUX explique bien de choses.

1. L’absence d’intérêt pour une vision stratégique de l’aménagement du territoire à l’échelle de la province et la complaisance face aux rivalités communales.
Quand la vente de terrains est votre gagne-pain, vous n’allez pas vous-même vous donner des contraintes et limiter vos possibilités par des considérations de stratégie publique. Se doter d’une vision de développement pour la province, ce serait, pour IDELUX, réduire sa liberté d’action de promoteur immobilier. Et à l’inverse, entretenir la compétition municipaliste (chaque collège communal veut son parc d’activité économique – le MOC parle de « concurrences stériles »), c’est s’assurer qu’en tant qu’intercommunale on aura toujours des demandes locales auxquelles on s’empressera de répondre.

2. L’inflation des surfaces commerciales mises sur le marché depuis une vingtaine d’années, en particulier sur le territoire arlonais (moyenne de 407m² de surface commerciale pour 100 habitants, contre 170m² en Wallonie).
Si de grosses enseignes commerciales viennent sonner à votre porte pour acquérir du terrain et que vous pouvez, de la sorte, faire quelques juteuses opérations immobilières, vous le faites, peu importe si vous êtes en train de créer une surcapacité commerciale et donc des déserts dans les centres urbains²; peu importe si vous êtes en train d’offrir un cadeau public à la grande distribution nationale ou internationale qui n’en n’a pas besoin.

3. L’incapacité d’IDELUX d’agir comme agent immobilier sur le marché, plutôt que comme promoteur immobilier³.
Idéalement, l’utilisation parcimonieuse des sols voudrait qu’IDELUX se préoccupe avant tout d’optimiser l’usage de l’existant. Cela suppose de tenir un inventaire actualisé en permanence de l’offre d’immeubles et de terrains déjà artificialisés, qu’ils appartiennent au public ou au privé. Or, le seul inventaire dont dispose IDELUX est celui de ses propres parcs d’activités (et pour cause). Un bon agent immobilier possède aussi un inventaire actualisé de la demande. IDELUX travaille sur la base de données théoriques (« Arlon a besoin de 40ha »), qu’on tente d’illustrer par des demandes présentées comme exemplatives (l’entreprise de toiture Schoppach – eh oui – revient souvent) qui sont forcément partielles et dont on ne connaît pas les raisons réelles. On est frappé, en lisant les avis des instances consultatives (pôles AT et Environnement du CESW), par le constat répété de l’indigence ou de la faiblesse de l’analyse des besoins dans les études d’incidences des différents projets publics (notamment les PCA). Jouer un rôle pro-actif et dynamique d’agent entre l’offre existante (toute l’offre) et la demande (répertoriée objectivement), c’est la première mesure d’utilisation parcimonieuse des sols. Elle est d’ailleurs recommandée par la CPDT⁴. IDELUX, enfermé dans son besoin vital de vente, n’a pas trouvé d’intérêt immédiat à jouer ce rôle.

4. L’absence d’intérêt, dans le chef d’IDELUX, de s’attaquer aux opérations plus complexes comme le réaménagement de Site à Réaménager (SAR).
«Trop souvent, les SAR sont laissés à l’état de friches. En effet, cela coûte moins cher de développer les activités économiques sur de nouveaux terrains plutôt que de réhabiliter les SAR» lit-on dans le rapport précité du MOC. Exemple emblématique (pour notre sujet) : Stockem. Le dossier est complexe : pollutions, propriétaires publics, enjeux de mobilités, dimension transfrontalière, etc. On a cru comprendre que la Ville d’Arlon voulait en conserver jalousement la gestion, avec certaines idées derrière la tête (le WEX arlonais). On comprend aussi le peu d’empressement d’IDELUX de s’en mêler, vu le faible retour sur investissement escompté. On peut se demander, à cet égard, pourquoi IDELUX (ou la Ville) n’examine pas la possibilité d’exproprier Infrabel, les terrains et les constructions concernés ne relevant plus du domaine public puisque plus affectés à un service public (les ateliers ont été déménagés et Infrabel veut vendre, ce qui démontre bien la désaffectation).

5. L’absence de réflexion, et donc, à plus forte raison, de politique définissant le type d’activités économiques que l’Intercommunale voudrait stimuler dans ses parcs d’activités.
Oui, on parle désormais d’activité artisanale ou d’activité économique mixte. On écarte « la logistique et le commerce » (il était temps) mais on n’exclut pas « le commerce de gros » (la Briqueterie d’Arlon est citée comme candidate sur la Sablière). Au sein de la catégorie « artisanat et activité économique mixte », on est prêt à accepter beaucoup. Se présenteraient aux portes d’IDELUX, un assembleur d’armes, un sous-traitant de Monsanto, un réparateur de SUV, un installateur de piscines privées ou d’antennes 5G, un datacenter énergivore, etc, IDELUX signerait. Les immeubles seraient éco-construits; l’entreprise signerait une charte de respect de la biodiversité aux abords de son bâtiment; elle mettrait des vélos à disposition du personnel, etc. L’habillage vert permettrait de faire passer les implantations autorisées comme participant à la transition écologique alors qu’il n’en est rien : la logique resterait celle de la croissance économique aveugle entraînant nécessairement⁵ l’augmentation de l’empreinte écologique nationale déjà excessive.

Mener une réflexion sur les métiers et les activités de demain, ceux qui nous permettront d’accompagner l’indispensable décroissance économique et la transition sociale et écologique, mobiliser prioritairement ses propres outils publics pour aider ces métiers et ces activités à émerger, cela ne présente aucun intérêt pour IDELUX, tout simplement parce que cela ne contribue pas à son autofinancement.

La boulimie foncière congénitale est une maladie dégénérative. Tôt ou tard, elle amènera IDELUX à disparaître. On espère au plus vite.

¹ MOC Luxembourg, Développement territorial et utilisation parcimonieuse du sol en Province de Luxembourg, Regard sur 10 ans (2004-2014), 2016, à télécharger sur le site du MOC Luxembourg et à lire !

² Il est établi que les mètres carrés commerciaux supplémentaires créent peu d’emploi (MOC, 2016).

³ Voyez à ce sujet l’intéressante proposition formulée, le 28 février 2020, par Guirec Halflants, conseiller provincial et observateur au CA d’IDELUX.

⁴ Conférence permanente du Développement territorial – Rapport final 2012 – Retombées des zones d’activité économique au niveau communal.

⁵ Sur cette inévitable liaison entre croissance économique et augmentation de l’empreinte écologique, et donc l’impossible découplage absolu, lire le rapport du Bureau Européen de l’Environnement (EEB) : « Decoupling Debunked. Evidence and arguments against green growth as sole strategy for sustainability », juillet 2019.