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La ZAD et le malaise des politiques – Michaël Lucas

21 novembre 2019

La ZAD d’Arlon crée un malaise chez les politiques arlonais et luxembourgeois; elle les rend nerveux et fébriles. A mon avis, essentiellement pour deux raisons: elle les sort de leur terrain de jeu habituel; elle leur demande de cesser de faire ce qu’ils ont toujours fait.

Des actions et un débat hors cadre

La ZAD est spontanée et se joue des cadres institutionnels. Ses délibérations se tiennent en assemblée, dans l’inconfort d’un bois froid et humide mais dans la douceur et la sincérité du respect mutuel. La ZAD, occupation pacifique, non violente et autogérée d’un bois abandonné, est un autre monde pour nos politiques.
Eux (les politiques) sont habitués aux rencontres et aux procédures formatées dont ils maitrisent tous les codes, usent et abusent de toutes les ficelles. Leurs cris, leurs intimidations, leur cynisme, leur ironie, leur mauvaise foi et leurs combines sont sans impact sur ceux qui se placent en dehors de leur système. Le bouillonnement diffus et fécond qui germe en parallèle, sur les réseaux sociaux et dans l’espace public, échappe, lui aussi, à leur contrôle. Nos politiques se sentent impuissants. Difficile à vivre pour des patriarches aux accents finkielkrautiens.

“Cessez de faire ce que vous avez toujours fait”

Ils ont toujours construit de nouveaux zonings pour accueillir l’activité économique. Ils disent: “on construit parce que la demande est là”. En fait, ils construisent et se convainquent que la demande et l’activité économique suivront. Leur opérateur IDELUX agit comme un promoteur immobilier, cherchant à valoriser ses biens, parfois expropriés, s’inscrivant en plein dans une logique de concurrence (entre communes, entre provinces, avec le Grand Duché). Ils ont toujours fait la même chose: dérouler le tapis rouge pour cette croissance économique devenue mantra, caractérisée dans notre région par toutes sortes d’inflations – inflation des prix, inflation des constructions, inflation des commerces de périphérie, inflation de la circulation automobile, etc – engendrées par cette écœurante “prospérité” grand-ducale.

La ZAD signifie: “cette politique extensive de bétonisation, ce tapis rouge pour la croissance, cela ne peut plus durer”. Bien que l’avertissement parle, au loin, à nos politiques pas tout-à-fait aveugles, ils sont tétanisés par l’idée de devoir stopper du jour au lendemain ce qu’ils font depuis toujours (peut être la seule chose qu’ils savent bien faire). Malaise, angoisse, incompréhension, résistance maladroite, … Le phénomène touche tout le monde politique, à des degrés divers et dans des mesures multiples, par-delà les clivages partisans.

Mais pourquoi dire STOP ici, à la Sablière ? Pourquoi arrêter maintenant ?

On entend la même musique: “la Sablière ne présente pas de grand intérêt biologique”. Certains, parmi les politiques vont jusqu’à dire: « voyez plutôt du côté du futur golf du Bois d’Arlon; la menace pour la biodiversité y est bien plus forte”. Ou encore: “gardez vos forces pour Houdemont, dossier autrement scandaleux en terme d’aménagement du territoire et d’environnement”. En tout cas, je note. Les Arlonais.es et les Luxembourgeois.es seront attentif.ves à ce que ce discours soit tenu avec la même fermeté lorsqu’il s’agira de contester ces projets-là.

On entend aussi: “mais pourquoi maintenant, alors que nous sommes saisis de demandes de petites PME et d’artisans. Nous ne pouvons pas les ignorer. Ce ne sont, au demeurant, pas des multinationales”.

Je prends à nouveau acte: si c’étaient des multinationales, il en irait donc différemment. Voilà un deuxième acquis. Je m’interroge toutefois sérieusement sur le fait que la construction d’un zoning (à la Sablière ou ailleurs) soit la seule réponse possible à la demande (dont on ignore d’ailleurs la véritable ampleur).

Mais sur un plan plus large et de manière plus fondamentale, à l’interpellation: “pourquoi ici? pourquoi maintenant?”, je réponds simplement: “parce que la ZAD est là”. Pour être franc et pour rester crédible, je n’ai pas envie de proposer à la ZAD de plier bagage et de revenir dans quelques années, lorsque la construction de l’hôpital dans les champs sera à l’enquête publique, de revenir lorsqu’on aura répondu à la demande de tous les petits artisans et qu’il ne restera plus que celle des multinationales (vue de l’esprit). La ZAD est là, je n’ai choisi ni son timing ni sa localisation, mais elle est bien là, pacifiquement, sans violence (j’insiste sur ce dernier point; et si vous en doutez, rendez-vous sur place, rencontrez vos voisins de la Zablière).

Les discussions sur l’intérêt biologique de la Sablière, intéressantes et importantes, n’en sont pas pour autant fondamentales; à Houdemont ou ailleurs, les partisans du “on continue comme on a toujours fait” développeront une nouvelle argumentation particulière tentant de justifier leur projet, mais entretemps, le processus d’extension et de croissance aura encore progressé, avec les conséquences désastreuses qu’on connait, documentées et mises en lumière chaque jour mais sans doute encore trop abstraites pour créer un véritable électrochoc.

Parce qu’on se connait, parce qu’on est humain et que notre cerveau bugge (Sébastien Bohler, “Le bug humain”, ), parce qu’il bugge encore plus quand on est, comme la majorité de nos politiques, mâle blanc dominant (Dan Kahan), on cherchera toujours à repousser le point d’inflexion, le moment où on dit: “maintenant, on arrête”. Et au plus on tardera, au plus les choix seront difficiles et contraints, au plus les tensions seront exacerbées. (voir à ce sujet l’excellente présentation d’Arthur Keller, “Effondrement; seul scénario réaliste?” ).

La ZAD est là; acceptons son questionnement fondamental (on devrait même dire: soyons reconnaissants :-); inspirons-nous de son expérimentation pour envisager comment, concrètement et dès aujourd’hui, inverser le cours des choses, infléchir enfin la courbe de notre empreinte écologique, cesser d’exploiter la nature et commencer à la régénérer. La démarche impose modestie et courage, un exercice à coup sûr inconfortable pour certains politiques.

L’énergie qui est déployée maintenant autour de la ZAD en générera de nouvelles à Houdemont, au golf du Bois d’Arlon, à Bierset et ailleurs.

ZAD partout, c’est réconfortant!