Le photographe Luttographie de Lille Insurgée a passé quelques jours à la ZAD d’Arlon. Voici le récit de son séjour.
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On entend souvent parler de Bure, Sivens ou encore la célèbre Notre-Dame-des-Landes. Ces Zones à Défendre sont rendues célèbres par des individu.es venant s’opposer aux projets industriels initiés par des politicien.nes souvent vendu.es au capital. Je me suis rendu sur la petite dernière, la ZAD d’Arlon ou de Schoppach, encore appelée la « Sablière ». J’ai partagé pendant deux jours la vie des zadistes. J’ai partagé de nombreuses conversations sur la vie qu’ils et elles ont choisi de mener ici. A la chaleur du feu, des débats politiques. Autour d’un café ou d’une bière, on imagine le monde qu’on voudrait pour demain. Dans le froid de la forêt, on le construit.
Les propos qui pourront être retranscrits ici n’engagent que les auteur.es. Qu’ils/elles soient riverain.es ou zadistes, aucun mandat n’a été confié pour qu’une personne s’exprime au nom d’un collectif.
Comment Arlon est devenu une Zone à Défendre ?
30 hectares. 300 000 mètres carrés. Soit 42 terrains de foot. C’est la surface de la ZAD d’Arlon. Ou plutôt, c’est la surface de forêt que le bourgmestre d’Arlon, Vincent Magnus, souhaite raser pour permettre la construction d’une zone dédiée au commerce pour les PME. Le chantier est censé être offert à IDELUX, dont les statuts restent un peu flous, mais qui serait une association intercommunale à but lucratif. Mais plus qu’une forêt, c’est tout un écosystème qui est mis en danger. Sous les arbres cinquantenaires, c’est un sol sablonneux abritant de nombreux êtres vivants en voie de disparition.
La mobilisation pour défendre la Sablière a été en partie impulsée par les habitant.es de cette ville. Acculé.es par les projets de grandeur de Vincent Magnus qui prévoit 5 grands sites de construction, des habitant.es, sûrement avec une pointe de naïveté, demande qu’il y ait la construction d’une ZAD, en plus des marches symboliques et des pétitions. La Zone est occupée depuis le 26 octobre, et continuera à l’être, jusqu’au retrait du projet.
Il m’appelle quelques jours avant. « Mec, on va à la ZAD d’Arlon ? T’as une caisse ? ». Bon, le gars, il est jamais allé en ZAD. Il voudrait rejoindre l’occupation en plein mois de décembre, entre les fêtes, dans le froid et l’humidité.
Je fais rien de mes vacances, les grèves et mobilisations sur la réforme des retraites tournent un peu moins bien, et au final l’idée me plaît bien. Trois coups de téléphone plus tard, j’ai une voiture. On peut y aller. « Et on y va pour écrire un article, ils en ont besoin en ce moment ». Je fais mes petites recherches sur Internet. Je vois le drame écologique qui se prépare. Et aussi le traitement médiatique du bourgmestre Magnus : « casseurs, vagabonds, terroristes ». Ouais alors, il faut vraiment y aller.
Quelques heures de route plus tard, nous voici devant l’entrée d la ZAD. On s’enfonce de quelques mètres dans la forêt. Rapidement, un groupe sort du bois. « On fait comment pour rejoindre la ZAD ? – Suivez les gilets jaunes ! ». L’hommage nous fait rire. Après avoir enjambé quelques barricades, on arrive sous une grande tente. Plusieurs dizaines de personnes sont là, autour d’un feu à chanter, certain.es préparent le repas du soir, d’autres débattent ou prévoient les activités du lendemain.
Rapidement, quelqu’un vient vers nous, on se présente en tant que « média indépendant ». On nous invite à nous asseoir et à faire comme chez nous. On sort une bière, quelques personnes viennent la partager, on échange, dans la simplicité. On parle de la situation ici, de la répression policière française, et on compare nos keufs, les Belges étant bien moins violents physiquement que les Français. On parle aussi des gilets jaunes, de l’espoir qu’on y a vu. On part se coucher dans la voiture, histoire de ne pas trop les déranger.
On sort de la voiture le lendemain matin. Dans le froid. On entre à nouveau dans la forêt. On voit les barricades, de jour cette fois. Et aussi beaucoup de banderoles suspendues dans les arbres. On prend un café avec les ZADistes. « Vous avez dormi où cette nuit ? -Ben, dans la voiture- Mais vous êtes fous, on aurait trouvé une solution à la cabane ». La cabane, notre guide nous y amène. Je vous donne pas les plans de construction, mais on y vit bien. Il nous emmène dans la forêt de tentes. Plusieurs dizaines de tentes sont installées là, depuis le premiers jour. Certaines sont occupées, d’autres le sont temporairement, pour les gens de passage. Puis, il nous guide vers un endroit appelé « Le Nord ». Un coin de la ZAD complètement défriché, où s’est installée la dernière barricade avant l’évacuation définitive. Sur une falaise, « Le Nord » fait face aux locaux d’Idélux, le propriétaire du terrain occupé. On retourne vers la cantine, principal lieu de vie, histoire de se réchauffer un peu autour du feu. On nous propose de jouer à un jeu de rôle, comme un jeu médiéval. Keufs contre zadistes. L’idée est marrante. On veut bien jouer, mais on aimerait prendre des images. Une zadiste nous propose de jouer le rôle des journalistes présents. Vendu ! La fausse évacuation a lieu. Les flics ont gagné. La question vient rapidement : pourquoi ? Une faille ? Un endroit moins surveillé ? On réfléchit et on rectifie. On pose l’équipement photo et on prend des outils. On n’a pas envie d’être les yeux ou les bouches qui raconteront Arlon, on a aussi envie d’être les mains qui la construisent.
Consolider une barricade, réparer une tente, construire quelque chose avec des gens que tu ne connais pas, sans la pression productiviste d’un chef, c’est ouvrir des espaces d’échanges ou de rencontre.
On discute avec un type, en train de couper du bois pour pas cailler ce soir. Notre conversation s’enclenche sur la possible dominante idéologique présente dans la ZAD : « Je pense qu’on peut dire qu’il y a ici plusieurs groupes affinitaires, mais y’en a pas un qui domine vraiment. Certain.es disent que ce qu’on fait ici, c’est du communisme, d’autres vont penser à l’anarchie, bien que j’aime pas trop le terme. D’autres encore parleront plutôt d’autogestion. On essaie de construire un autre monde, mais on est avant tout là pour défendre la Sablière et c’est ça qui nous réunit ».
Quelques heures plus tard, un couple sexagénaire arrive sur un lieu de vie de la ZAD : « On pourrait avoir un peu d’aide, on vous a ramené un peu de nourriture ». Un groupe se bouge. Nous aussi. 5 ou 6 caisses remplies de nourriture nous attendaient à l’entrée de la Sablière. Ils/Elles sont invité.es à prendre un café. Iels précisent qu’iels n’ont que quelques minutes. La couple restera plus d’une heure. Notre première question : « Pourquoi ? Pourquoi ces caisses de denrées alimentaires ? – Parce que c’est normal. C’est bien ce qu’ils font ces jeunes. Quand il y aura du béton partout, on fera quoi ? C’est notre façon d’aider. On a tout, une famille, une maison, une retraite, un chien, mais on n’a plus l’énergie. Alors on roule souvent 120 kilomètres aller-retour pour les aider. C’est un minimum ».
Le soir tombe rapidement. On cesse les activités, on se réunit autour du feu. On pense partir sur une soirée de soutien, à Namur. Certain.es iront. D’autres partiront autre part. Un partie conséquente restera sur place, finalement. Autour du feu, on refait le monde, une fois de plus. Et puis, une guitare sort de l’ombre, on joue, on chante. On chante le conte de l’huissier venu présenter l’ordre d’expulsion. La soirée se termine avec une bonne humeur contagieuse dans la Cabane.
Je me réveille assez tôt le lendemain matin. Je suis le premier levé pour dire vrai. Je fais un tour du lieu occupé, seul. Je découvre cet environnement boisé, calme. Le givre s’est posé sur la mousse qui recouvre des arbres impressionnants. J’ai compris à ce moment là pourquoi ces militant.es se battent. A l’entrée de la ZAD, je tombe sur une dizaine de sacs remplis de provisions. Des gens ont laissé ça là, sans doute en solidarité. Une militante me rejoint à la Cantine. On discute un peu, d’elle, de son parcours, de son arrivée ici. On parle aussi de l’organisation sur place : « Au début, on faisait des AG, assez régulièrement. On avait un problème, on en discutait en AG. Aujourd’hui, on en fait beaucoup moins. On fonctionne un peu en petits groupes. Un groupe va prendre une initiative, elle communique à l’autre. L’idée, c’est qu’on soit cohérent. Il reste la problématique du sexisme. On essaye de lutter contre ça mais on est quand même concerné.es». Un peu comme dans toute forme de société en réalité. On part faire quelques achats dans Arlon. On s’arrête prendre un café dans un bar. On parle des syndicats, des mobilisations françaises et belges. On imagine aussi des alliances qui pourraient se former entre Lille et Arlon. 3 heures de route, c’est pas si loin, non ?
C’est vrai qu’il faut les conduire, qu’il faut un minimum de moyens, pour l’essence par exemple. Mais quand on voit ce pour quoi iels se battent, ça vaut vraiment le détour. Juste aller passer quelques jours, donner un coup de main ou venir pour discuter. Et puis, le soutien, c’est possible de le faire à distance. Se renseigner, en parler autour de nous, rendre cette occupation plus visible qu’elle l’est déjà. Et puis, pourquoi ne pas imaginer un comité de soutien local, ici à Lille, dans le but de récolter des fonds pour que la ZAD puisse perdurer dans le temps. Il s’agit également d’être nombreux sur la zone quand la police fédérale pointera le bout de son nez pour déloger celles et ceux qui se battent pour le vivant, dans un monde où les ressources naturelles sont détruites sous du béton ou sous des pesticides, où des continents avec toute sa biodiversité sont rongés par les flammes, où la moindre parcelle de terre doit être rentable.
« Ils ont répandu le sang un peu partout sur ton sol,
T’ont recouvert de ciment, jusqu’à étouffer ton sort
Ont empoisonné ton air, souillé tes océans,
Tes rivières et tes mers et ont vampirisé ton sang
Ils ont fracassé tes saisons, déréglé ton climat,
Ils ont coupés l’horizon avec du béton dégueulasse,
Ils ont exterminé ta faune, racheté ta flore,
Sous-estimé ta force, pour nous condamner à mort »
Partout où il y aura du béton, nous serons là. Se battre. Pour le vivant. Pour l’avenir. ZAD partout.