À propos de l’expulsion de la ZAD d’Arlon
Un matin avant le printemps, cent-cinquante hommes casqués en uniforme appuyés par des engins lourds ont pénétré une forêt. Ils ont arrêté neuf personnes qui y occupaient des cabanes, habitaient la forêt depuis plusieurs saisons, tentant de protéger une parcelle de terre promise à la destruction. Le potentat local se félicite vis-à-vis de son monde en déclarant qu’heureusement il n’y a pas eu de blessés lors de l’opération.
Conformément aux vœux pieux de la gestionnaire de l’intérieur de la nation, la situation sur le terrain ne va donc plus se gangrener. Le terrain : une ancienne sablière coincée entre le faubourg d’une ville provinciale, une route, une autoroute et l’immeuble où siège l’entreprise qui table sur le profit qu’engendre la prolifération du béton. Terrain humide, argileux, paisible, où la vitalité sauvage renaissait sans cesse par le biais du vol des papillons, dans l’écorce des sapins, à travers la liberté des oiseaux.
Terrain menacé, fragile, convoité par la logique imbattable qui cause, entretient, justifie et nie les plaies muettes et les maladies durables infligées à l’avenir des terres, des paysages et des multiplicités du vivant qui nonobstant y survivent. Terrain défendu par les voix solidaires de plus de cent-cinquante personnes soucieuses de la santé immédiate et à long terme de notre espace de respiration commun, voix de philosophes, jardiniers, musiciennes, voisins, chercheuses, poètes, étudiants inquiets, comédiennes, cinéastes, sociologues, enseignantes, agronomes, mères d’enfants.
Il n’y a pas eu de blessés. Quelle ampleur prendra la mort sur le terrain maintenant sécurisé ? Mort contenue dans l’arrachage des fougères, une des plantes les plus anciennes de la planète. Dans l’assèchement des mares. L’abattage des conifères, des chênes et des bouleaux. L’enterrement des cabanes. L’impossibilité définitive de nidification. La disparition des hiboux, des coccinelles. L’anéantissement d’une communauté humaine appliquant la démocratie directe, le respect du milieu naturel, l’hospitalité et l’égalité émancipatrice. La liquidation d’efforts et de l’imagination de centaines de sensibilités, d’une multitude d’actes de soin et de créativité. Le piétinement de l’humus et l’humiliation de l’horizon.
La destruction la forêt est symptomatique de la défaite de l’esprit. Chaque arbre est une blessure potentielle.
Contre la mise à mort permanente du vivant, habitons les territoires du désir. Que chaque arbre soit une promesse.