Il aura fallu braver le vent et la pluie, la peur et les longues veilles dans les nuits froides. Il aura fallu ériger des barricades et faire sortir des cabanes de la terre jusqu’aux plus hautes branches pour se mettre à l’abri. Pour se mettre à hauteur d’oiseau, pour se réfugier dans un terrier. Se serrer les coudes, se reconnaître, se rencontrer ou faire avec. Tout un peuple qui est accouru pour faire pays dans le pays, pour devenir forêt. Des charpentières, des cuisiniers, des paysans, des artistes et des bons vivants, des infirmiers, des gens perdus, des résistantes et des gilets jaunes, des bardes et des poètes… toutes un peu guerrières, tous un peu apprenti. Résolument vivants et fermement résolus à tenir ce territoire arraché à la promesse d’un énième saccage. Un feu de joie défiant la noirceur du cours tragique de l’époque. Pour que le hululement du grand duc continue à emplir la forêt au crépuscule et que les orchidées continuent à fleurir au printemps pour attirer les papillons. Parce qu’on en pouvait plus de faire le deuil de tant de choses à force d’attendre et d’espérer. Il restait des formes de vie à défendre, des mondes à faire, des territoires à habiter. À notre mesure et selon nos moyens, pour peu qu’on en ait la volonté.
Il fallait choisir, le parti des oiseaux ou celui des cravates. Risquer de vivre ou mourir engraissé de tristesse. On ne remplace pas le chant des oiseaux, ni le temps payé qui ne reviens plus. Maintenant les camions de police sont là. C’est l’offensive d’une société qui ne tolère rien d’autre que son désastre marchand. Il va falloir qu’on résiste si on veut défendre toute cette vie qui grouille ici comme nulle part ailleurs. Bien sûr, on a tous peur. On est pas des automates. On a peur mais on peut encore se donner du courage si on lutte ensemble. Chacun peut y trouver sa place, sa petite mission, sa manière de défendre ce territoire. On ne se laissera pas faire non, on ne les laissera pas tout saccager gratuitement après tant d’efforts. On ne les laissera pas défaire nos mondes tranquillement. Plutôt affronter cette terrible journée que de regretter toute une vie de n’avoir rien tenté pour la défendre. On sait qu’on peut aussi gagner cette bataille si on rassemble toutes nos forces. Rien n’est perdu d’avance, cœurs vaillants !
« Un jour peut venir où le courage des hommes faillira, où nous abandonnerons nos amis et briserons tout lien ! Mais ce jour n’est pas arrivé ! Ce sera l’heure des loups et des boucliers fracassés lorsque l’âge des hommes s’effondrera! Mais ce jour n’est pas arrivé! Aujourd’hui nous combattrons ! Pour tout ce qui vous est cher sur cette bonne terre, je vous ordonne de tenir ! »