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Ex-ZAD de Schoppach : «Idélux a choisi la mort»

Le Soir, Jean-Luc Bodeux, 2 mai 2021

Alors qu’une nouvelle ZAD (zone à défendre), la « ZAD là-bas », se construit à Aische-en-Refail, l’ex-sablière d’Arlon qui fut durant plus d’un an la première ZAD belge a été mise à blanc après l’expulsion des zadistes, pour devenir un parc d’activités économiques. L’Observatoire de l’Environnement ASBL fustige « ce choix criminel » de l’intercommunale Idélux.

Le quartier de Schoppach, en périphérie d’Arlon, est sous pression immobilière au sens large, et l’ex-sablière de l’ex-ZAD n’est pas la seule pierre d’achoppement entre riverains et promoteurs, puisqu’à 3-400 mètres de là, c’est un projet immobilier conséquent qui commence à se dresser dans une autre ancienne carrière où la nature avait jusqu’alors repris ses droits.

Les zadistes n’avaient d’ailleurs pas choisi Arlon par hasard, justifiant depuis le début qu’ils avaient répondu à l’appel de riverains qui n’appréciaient pas de voir leur cadre de vie changer assez radicalement, notamment avec le projet de parc d’activités économiques d’Idélux. Un exemple parmi d’autres pour dénoncer « une bétonisation croissante » et un point de chute pour « mettre en lumière un autre monde à créer, avec une vision plus durable pour notre planète. »

Nous ne reviendrons pas sur ce combat, mais bien sur celui de l’Observatoire de l’Environnement (ObsE), une ASBL arlonaise citoyenne et engagée qui dénonce aujourd’hui la mise à blanc systématique de ce coin du chef-lieu, dès que les dix zadistes ont été expulsés manu militari le 15 mars. Ses membres, mais aussi de nombreux Arlonais, petits et grands, ne comprennent pas pourquoi ces 30 hectares forestiers ont été rasés presqu’intégralement.

Des dizaines de messages et dessins ont d’ailleurs été envoyés à l’ASBL, tantôt colériques, tantôt dépités, mais en tout cas très négatifs pour l’image de marque de la Ville d’Arlon et de l’intercommunale Idélux. « Même des employés d’Idélux nous ont dit être choqués par cette situation », commente Serge Raucq (président de l’ObsE).

« De quel côté est la violence ? »

« Nos membres sont consternés par la liste qui semble sans fin des projets immobiliers et autres qui abîment irrémédiablement notre environnement », commentait ce vendredi Serge Raucq. « Celui qui nous occupe aujourd’hui est aussi le plus cynique. Le demandeur, Idélux Développement a, sans aucune précaution, défriché près de 30 hectares en pleine période de nidification. Vous vous souvenez sans aucun doute de l’expulsion des zadistes. Il était question de violence latente, de présence d’armes sur le site de la ZAD… d’où la mobilisation de 150 hommes pour en déloger 9 ou 10. Personne n’a trouvé aucune arme sur le site. De quel côté est la violence ? Quelques jours plus tard, ce sont les tronçonneuses qui se sont mises à tourner. Elles ont dévasté toute forme de vie sur 30 hectares… au début de la période de nidification. Quoiqu’en dise la circulaire ministérielle ou l’autorisation de défricher délivrée par le DNF, de nombreux passereaux préparaient déjà leur nid et leur future descendance. Cette mise à blanc est démesurée en regard de l’autorisation délivrée par le DNF, une autorisation de déboisement non urgente qui portait sur 17 ha et sur un débroussaillage de 12,5 ha. 29,5 ha sur les 32 ont été laminés. La surface occupée par les épicéas atteints par le scolyte représentait environ 3,5 ha, soit moins de 12% de la surface totale du site. »

Des espèces protégées, sur papier…

L’Observatoire de l’Environnement a maintenu à jour une liste non-exhaustive d’espèces sauvages présentes sur le site. L’ASBL cite des oiseaux en danger, comme le pic noir, le grand-duc, l’hypolaïs polyglotte, l’épervier d’Europe. Cette liste comprend des espèces qui sont protégées et nécessitent, en cas de destruction, une dérogation à la loi sur la conservation de la nature. Une dérogation absente ici.

« Quant à l’espace pollué », note l’ObsE, « en 2018, le cabinet ABV Development » a proposé un projet d’assainissement des sols à la demande d’Idélux. Sa lecture permet de comprendre l’amplitude exacte de la pollution du site. Il y est mentionné que l’étude de risques a permis de montrer que les remblais de la zone CET et ceux de la zone basse ne présentent pas de menace grave pour la santé humaine et les eaux souterraines. La tache de mazout présente une menace grave pour la santé humaine. Elle devra être assainie. Mais elle ne représentait qu’une superficie de 35 m2 ! »

Le 1er mai, l’intercommunale qui voyait la grogne croissante sur les réseaux sociaux se justifiait en expliquant que « cette opération de mise à nu a été réalisée sous couvert d’une autorisation de coupe, à la condition de ne pas poursuivre les travaux d’abattage des feuillus au-delà du 1er avril, début de la période de nidification de l’avifaune. Seuls les travaux d’abattage des arbres scolytés se poursuivent aujourd’hui afin d’éviter la contamination d’arbres sains sur des parcelles voisines. » Mais en réalité, hormis en bordure de la rue du Bois d’Arlon, pour garder un rideau boisé pour les riverains, il ne reste plus un arbre. Les oiseaux n’ont donc plus le choix !

Des parcs d’activité « plus écologiques », une vision déjà mise à mal

« De la pure hypocrisie », clame Serge Raucq. « Nous avons posé trois questions aux administrateurs, notamment pourquoi ne pas avoir attendu l’automne pour défricher, étant donné que le projet d’aménagement n’a pas encore fait l’objet d’une demande de permis. Nous n’avons obtenu aucune réponse. Quant à savoir si l’entreprise, l’organisation ou la commune que vous représentez approuve cette décision, nous n’avons obtenu que des réponses vagues et sans consistance. »

L’ObsE pointe Idélux qui assurait pourtant voici quelques mois qu’au travers des parcs d’activité de la 3ème génération, dont Schoppach serait le cas-pilote, dix objectifs nouveaux seraient pris en compte. « Et sans rire, le 5ème objectif expliquait que ces parcs se concevront au sein du réseau écologique existant et favoriseront la biodiversité. C’est bien la direction journalière et le conseil d’administration que nous accusons d’hypocrisie, d’incompétence en matière environnementale et d’actes de violence gratuite envers les citoyens et la nature. »

Face à cette situation, l’ObsE clame qu’il ne lâchera rien et exige qu’Idélux Développement finance une réserve naturelle d’une surface équivalente à la surface défrichée, soit 29,5 ha. « Notre revendication est simple, claire et unique. Et une éventuelle action en justice est en cours d’analyse », conclut Serge Raucq.

« Une fausse note dans le dossier »

Elie Deblire, le président d’Idélux, ne cache pas un certain malaise par rapport à cette situation. « Il fallait enlever les arbres scolytés, en accord avec le DNF. Il fallait aussi abattre des arbres près du contournement pour installer la station-service au CNG. Il fallait aussi recréer un milieu ouvert pour la future réserve naturelle. Et il fallait dépolluer la parcelle mazoutée. Mais il n’y a pas eu de décision globale en C.A. Est-ce que cela justifiait l’abattage intégral ? On me dit que la police avait sollicité que l’on nettoie au plus vite pour éviter le retour de zadistes. J’ai constaté les choses en venant un jour au bureau à Idélux et j’ai marqué mon étonnement. J’ai toujours prôné le concept du « chaque chose en son temps », car on ne peut préjuger du futur de ce site alors que le rapport d’étude d’incidences n’est pas réalisé. Que dira-t-il, je n’en sais rien. Pour moi, cet abattage est une fausse note dans ce dossier, dont Idélux se serait bien passé. »

Des éco-quartiers ou des éco-clapiers ?

L’autre carrière de Schoppach est, elle, déjà en pleine transformation depuis un an, après des mois de travaux préparatoires. Depuis quelques semaines, les premiers blocs de ce nouveau lotissement sortent de terre, au coeur de ce qui était une carrière redevenue sauvage depuis des lustres. Nous n’en sommes encore qu’au début de la première phase de construction.

Bien sûr, ce projet se situe en zone urbanisable, mais les riverains fustigent de nombreux inconvénients, lacunes voire irrégularités, et un mépris de la part des promoteurs et de la Ville. Ils critiquent ces lotissements baptisés gentiment d’« éco-quartiers mais qui sont plutôt des éco-clapiers », note Bernard Pierre, un riverain, à l’image du projet très bétonné situé derrière la gare d’Arlon, où la densité de surface bâtie est énorme sans laisser de place aux espaces verts.

Un lotissement qui se situe finalement à proximité du quartier de Schoppach, et qui est prolongé par un autre lotissement à l’arrière de la place de l’Yser, lui aussi en phase de finalisation, le tout allant engendrer une croissance en termes de circulation routière, dans un quartier déjà passablement saturé aux heures de pointe.

Un peu plus loin, au cœur de Schoppach, la carrière Collignon est donc en pleine mutation. Michel Lemaire, un voisin direct qui, de son salon, voyait hier des chevreuils et verra désormais des voitures et des immeubles, sait que cette zone était urbanisable. « Mais le promoteur pouvait avoir un projet nettement plus intégré. Ce ne sera pas le cas. Le lotissement est disproportionné au vu de la population actuelle vivant à Schoppach. La première phase du bas de la carrière prévoit 134 logements. Actuellement, une quarantaine d‘appartements sont en cours de construction et 94 autres ont été autorisés à être érigés. La phase du haut de la carrière prévoit 79 logements supplémentaires. Le tout avec une seule route d’accès et de sortie, en plein cœur du quartier, non loin d’une école, sur une route déjà dangereuse, pour laquelle nous avons demandé depuis longtemps des aménagements. »

La crainte d’inondations

Et puis, il ne digère pas la façon dont est gérée la problématique des eaux, dans ce quartier où l’on se souvient encore très bien de la coulée de boue et d’eau qui l’avait envahi voici des années quand un bassin de rétention des eaux de l’autoroute avait lâché. « Il subsiste toujours des problèmes relevés dans le permis d’urbanisme unique liés à l’eau. En effet, indépendamment de l’article 640 du Code civil qui dit qu’on ne peut aggraver une situation en aval suite une intervention humaine en amont, l’eau de pluie sera déversée dans un petit ruisselet non-classé, où il ne peut y avoir de déversement. C’est illégal. La commune mentionne dans le permis d’urbanisme qu’il s’agit d’un ruisseau de catégorie 3. C’est un mensonge ou une erreur ! »

De plus, le milieu récepteur passant sous la N850 et qui jouxte sa maison est jugé trop petit pour recueillir l’eau pluviale. « A sa sortie de l’autre côté de la route, l’eau sort d’un tuyau à moitié bouché par de la terre. A quand une inondation comme à la Coulée verte ? On pourrait encore ajouter un parking surplombant mon jardin, une intimité bafouée, la zone de compensation qui n’est pas respectée, etc. Au vu de ces éléments et de l’aveu même des autorités communales de toutes ses erreurs, aucune proposition de correction n’a été envisagée au mépris des riverains, malgré les promesses électorales. »

« Nous avons donc de multiples craintes, car les équipements sont inadaptés face à ce doublement de population dans le quartier », conclut Bernard Pierre.